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L’AMI MÉRITARTE

sophie et qu’il nous invitait à devenir ses disciples le jeudi suivant. Nous fûmes exacts au rendez-vous, mais à voir nos mines inquiètes, on eût deviné que la métaphysique des fourneaux nous inspirait peu de confiance. Nous avions raison, car on servit un plat d’os de bœuf dont nous eûmes bien de la peine à retirer la moelle ; il y eut encore des têtes de lapin que nous dûmes briser pour en sucer la cervelle ; en fait de dessert, on eut des amandes, des noix, et, comme c’était le jour des Rois, un gâteau dont la fève ne servit point à désigner un monarque, mais évoquait simplement la sagesse pythagoricienne, à la fin de ce banquet philosophique.

On craignait que, désabusé, l’ami Méritarte ne se réfugiât dans une sorte de dévotion, à la faveur de quoi il nous eût servi des repas mystiques. Nous nous trompions : Méritarte, qui s’était élevé jusqu’à l’épopée, descendit jusqu’au roman et finit par épouser sa cuisinière, qui était une belle fille. Ayant abandonné ses fourneaux, la nouvelle Mme Méritarte, qui s’accommodait mal de n’avoir plus rien à faire, se mit à tromper son mari outre mesure. Pendant quelque temps, celui-ci sembla avoir renoncé à son art. Mais, un jour, il décida de donner un grand dîner satirique auquel il n’invita que les amants de sa femme.