Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/144

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jure que je t’écris tout ce que je sens. En effet, ici, ce n’est pas comme à Pétersbourg où nous admirions la nature en paroles, tout en pensant à autre chose. Il y a encore un autre sentiment dont souvent aussi j’ai parlé, mais que je n’ai vraiment éprouvé que maintenant : c’est l’amour des enfants. Sans doute j’aimais mes enfants, mais je n’avais pas le temps de penser beaucoup à eux. Mon Mitia a dix ans, et c’est maintenant que je découvre combien il est sage et gentil ; chaque jour il m’étonne par quelque remarque très juste, ou pose des questions auxquelles je ne puis répondre, et je suis obligée de chercher dans les livres pour le renseigner. Une chose m’étonne et m’inquiète : il ne prononce jamais le nom de Kostia. Comprendrait-il ? Parfois j’ai envie de lever ce doute, de parler moi-même ; mais une force invincible me retient : et si j’allais rougir en le nommant, et si Mitia rougissait ! Le regard fixe de ses yeux de dix ans me trouble plus que les sourcils froncés et la haute stature d’Hippolyte Nikolaievitch.

Mais assez parlé de moi ; permets que je parle de toi maintenant. Je t’ai toujours considérée comme une femme extraordinaire en tout ; les succès et les honneurs que les