Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/201

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vie. Je veux de nouveau me mêler à leurs querelles, à leurs petits intérêts, qui leur paraissent si vastes ; j’aimerai nombre d’entre eux, je lutterai contre quelques-uns, je haïrai les autres ; mais je veux cet amour, cette haine, cette lutte.

Oh ! seulement vivre ! Je veux voir le soleil se coucher derrière la montagne, le ciel bleu se ponctuer d’étoiles, les vagues courir, crêtées d’écume, sur l’étendue de la mer ; je veux me jeter dans un canot à l’encontre de la tempête ; je veux, sur une troïka vertigineuse, traverser le steppe neigeux ; un couteau au poing, je veux lutter contre un ours ; je veux goûter à tous les émois de la vie, je veux voir l’éclair cingler le ciel, et le vert scarabée grimper sur les ramilles ; je veux humer l’odeur du foin coupé ; je veux entendre garruler le rossignol dans les lilas, les grenouilles coasser sur l’étang, les cloches sonner à toutes volées sur les campagnes, et les drochki rouler sur le pavé ; je veux entendre les triomphants accords d’une symphonie héroïque, et les stridulations d’un chant tzigane.

Oh ! seulement vivre ! seulement pouvoir respirer l’air de la terre, prononcer une seule parole humaine, crier, crier…