Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/224

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qu’on pût voir, les paysans l’adoraient ; mais il est du vieux temps, il lui est difficile de se faire aux idées nouvelles : il a peur de la ruine pour ses enfants ; qu’y a-t-il donc d’extraordinaire qu’il défende de son mieux ses intérêts ? peut-on dire qu’il soit malhonnête ? Mais ces réflexions étaient étouffées par le bruit des assemblées générales, les articles de journaux et surtout par la mode, et nous étions la terreur de la province et ne faisions pas de différence entre les hommes comme Platon Markovitch et les vrais suppôts du servage. Cette conduite passionnée et évidemment injuste était peut-être nécessaire pour le rôle historique que nous avions à jouer, et, quand il fut fini, nous descendîmes de scène, et je retournai tout naturellement dans le cercle ancien des hommes et des idées.

L’année dernière, j’ai rencontré à Pétersbourg quelques anciens terroristes avec lesquels j’avais gardé des relations amicales. Nous convînmes de dîner ensemble au restaurant. Il y eut tout d’abord un peu de gêne ; mais, sous l’influence du vin et des vieux souvenirs, cette sensation se dissipa et, à la fin du dîner, on discourut des « planteurs », de « la lutte contre les planteurs », et l’on brandit combien de mots jadis terribles, maintenant sans vertu.