Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/270

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tout à coup vous apercevez un visage quelconque, et aussitôt vous sentez que votre vie en est remplie et que hors ce visage, dans le monde entier il n’y a plus rien pour vous.

Pourquoi ? Peut-être votre bisaïeul a-t-il aimé une femme qui ressemblait à celle-là et son image est-elle entrée en vous, dans votre sang, dans vos nerfs. C’est un bonheur que de rencontrer cette femme quand on est jeune : elle peut répondre à votre appel, et l’Amour vous recevra tous deux dans son brillant palais.

Hélas ! ma jeunesse a passé sans que se fît cette rencontre bénie !… Mais pourquoi ne la ferais-je plus à présent ? « Vous n’êtes pas un vieillard, mais tout de même vous êtes âgé », m’a dit Lydia, le jour que nous avons fait connaissance. Qu’est-ce que cela veut dire, âgé ? Est-ce ma faute, si elle est née trop tard ou si je suis né trop tôt.

L’âge est-il donc un crime ? Au contraire, dans toutes les autres circonstances, l’homme, à mesure des années, rencontre l’estime, les honneurs. Pourquoi donc le priver du droit le plus sacré, du droit d’aimer ? Aussi bien pourquoi ne pas assassiner tout homme qui a passé la quarantaine ? « Non, me dit la cruelle souveraine, on ne t’assassinera pas, on