Page:Apoukhtine - La Vie ambiguë.djvu/291

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riches et pauvres, vieux et jeunes ; c’est la seule égalité que l’homme puisse atteindre. Mais de la pensée que tous les hommes mourront à celle que moi, je mourrais, il y a encore une grande distance. À cette pensée-ci j’ai seulement réfléchi hier. Je ne puis dire que j’aie très peur de la mort ; et, d’ailleurs, pourquoi craindre un sort qui frappe tout le monde imperturbablement.

J’avais un ami qui avait très peur de mourir et qui vivait de la façon la plus régulière ; jamais il ne mangeait à dîner une bouchée de plus que la veille ; jamais il ne se couchait cinq minutes plus tard ; les diverses allées de son jardin étaient mesurées exactement, et le matin, en faisant sa promenade, il touchait du pied le vieil arbre où commençait l’allée pour compter le nombre de tours qu’il faisait. Malgré toutes ces précautions, il est mort à moins de quarante ans.

Ma tante Avdotia Markovna riait beaucoup de cette peur qui ne le quittait pas. « N’est-ce pas stupide d’avoir si peur ? disait-elle sans se gêner. Quand tu pars de Moscou pour Pétersbourg, tu te déshabilles et te couches dans le wagon et tu t’éveilles à Pétersbourg ; la mort c’est la même chose : nous nous endormons ici et nous nous éveillons ail-