Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/101

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les comédiennes. Mais Jean-des-Figues n’entend rien, ne regarde rien. Grisé de sons, de couleurs et de parfums, Jean-des-Figues s’est dédoublé. Des hauteurs, où plane son rêve, il s’aperçoit distinctement, assis avec son justaucorps écarlate, dans ce petit cube de pierre, blanc au dehors, doré par dedans, où les artistes et les poètes se réunissent pour goûter en commun les plus exquises des jouissances humaines, cependant que la terre tourne, emportant tout également dans son indifférence souveraine, Paris, le mont Blanc, la Palestine et la Cigalière, Blanquet avec les empereurs, et Jean-des-Figues assis dans sa stalle, et les imbéciles qui restent notaires à Canteperdrix !

Alors, transporté d’admiration pour tant de grandeur cachée dans cette apparente petitesse, Jean-des-Figues, la première fois de sa vie, se sent fier d’être homme. Il a des larmes dans les yeux, il est heureux de vivre, il respire avec une volupté attendrie cet air du théâtre, un peu chaud il est vrai, mais si embaumé, et se tournant vers son voisin au moment où le rideau retombe :

— « Que c’est beau, monsieur ! » lui dit-il.

Puis, sans attendre la réponse (il avait tant de joie qu’il lui fallait, à toute force, en faire part à quelqu’un), Jean-des-Figues raconte qu’il s’appelle Jean-des-Figues de Canteperdrix, et ce qu’il vient chercher dans la capitale.

Mon voisin, un grand bel homme fort comme un Turc, me laissait parler en me considérant