Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/106

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d’éclater. Puis les instruments se sont tus ; ils jouaient bas, très bas, et je n’ai plus entendu qu’un petit fifre comme si un régiment défilait. Il m’a semblé alors que nous marchions une troupe derrière lui, tous forts, tous braves, tous portés par la même espérance. Qu’était cette espérance ? Je l’ignore, mais c’était beau et généreux sûrement. Le petit fifre soufflait toujours, chantant à l’unisson de ma joie, et il exprimait si justement ce qui se passait en moi-même, qu’à certain moment (ce fifre enragé je l’entends encore), c’était mon âme, la propre âme de Jean-des-Figues qui chantait !

— Je pleurais comme vous, autrefois, dans les théâtres… » me dit Bargiban avec un rire amer ; et il resta un moment, silencieux, à tordre sa moustache d’un air satanique.

L’omnibus roulait sur un pont.

— « Tiens, s’écria tout à coup le sculpteur en couvrant d’un geste la grande ville, les quais sombres et la Seine où courait, reflétée dans l’eau, la lanterne rouge des fiacres, sois maudite, ô Rome, plus belle et plus âpre à l’argent que l’ancienne Rome ! ville qui ne sais pas te donner à ceux qui t’aiment, ville qui te ris de l’art à qui tu dois ta gloire comme la courtisane de l’amour, sois maudite ! Et puissent te rajeunir les barbares ainsi qu’on rajeunit l’olivier, en le rasant au ras du sol, afin qu’il jette des pousses nouvelles.

J’avais peur ; Bargiban semblait tenir la torche