Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/189

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et j’allais devenir, sans plus de résistance, le glorieux gendre de M. et madame Cabridens, quand un beau matin je vis entrer chez moi, devinez qui ? Nivoulas mon ennemi, Nivoulas harassé, suant, et poudreux comme une route départementale.

Croiriez-vous que depuis un mois, cet homme de bronze, ce romancier pratique et musculeux, devenu bohémien par amour, suivait Roset sur les grands chemins, tremblait devant Janan qui ne daignait même pas être jaloux de lui, et poussait aux roues à l’occasion quand la caravane grimpait une côte ?

J’eus peur d’abord qu’il ne vînt me tuer, tant son regard, en entrant, était farouche. Mais d’une voix suppliante, qui faisait l’opposition la plus comique avec la fureur de ses yeux :

— « Venez, Jean-des-Figues, me dit-il, venez vite, il n’y a pas de temps à perdre. »

Et, sans me donner d’autre explication, il s’assit sur le bord de mon lit, dans l’attitude de la plus profonde douleur. Puis, comme s’il se fût parlé à lui-même :

— « Ô le gueux ! ô le bohémien ! murmura-t-il en serrant les poings, faire tenir un mulet borgne par une femme ? »

Miséricorde ! Roset… (Nivoulas était si désespéré qu’il s’assit et qu’il se leva plus de vingt fois pour me raconter cette lamentable aventure), Roset, en vendant avec son Janan un mulet vicieux