Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur le champ de foire, avait reçu au sein un mortel coup de pied. Nivoulas l’avait laissée expirante, au milieu des bohémiens, à une lieue loin de Canteperdrix, dans la caravane dételée.

— « Et c’est vous qui venez me chercher ? » lui dis-je, saisi d’admiration et touché jusqu’aux larmes…

— « Laissez-moi, je l’aime toujours, fit-il en se détournant pour ne pas voir que je lui tendais la main ; mais elle est malade, bien malade, et quoiqu’elle ne m’en ai rien dit, j’ai compris, j’ai cru deviner, Jean-des-Figues, que peut-être cela lui ferait plaisir de vous voir. »

Laissez-moi, je l’aime toujours !… Comme il me parut grand en disant cela, cet imbécile. Et quand nous arrivâmes au campement des bohémiens, quand les trois vieilles femmes qu’un peu d’argent avait séduites, me montrèrent, en l’absence de Janan, Roset tout au fond de la caravane, Roset couchée sur un grabat et pâle comme une morte, quand je la vis ouvrir les yeux faiblement et me regarder, alors un grand remords me prit, et j’eus envie de lui crier :

— Ne m’aimez pas, Roset ; n’aimez pas ce misérable Jean-des-Figues, c’est Nivoulas plutôt, l’imbécile de Nivoulas qu’il faut aimer !

Mais voyez le divin égoïsme des femmes : Roset, tout entière à son bonheur, n’eut ni un regard de remercîment ni un sourire pour ce pauvre garçon qui pleurait silencieusement dans un coin.