Page:Arène - Œuvres, 1884.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’arroser le pré, et la source tombant de haut dans le réservoir sonore et vide à moitié, mêlait son bruit plus mélancolique aux mille bruits qui montent des champs ; l’image réfléchie du figuier se peignait magnifiquement au fond de l’eau, sur un fond d’or nacré, comme un laque chinois, et quand je relevais les yeux, je voyais devant moi, tout au bord de l’horizon, les Alpes italiennes qui, revêtues par le soir et le soleil de flottantes vapeurs violettes, s’alignaient dans la zone empourprée du ciel, claires, presque transparentes, et comparables à un chapelet d’améthystes enchâssées dans un bracelet d’or.

Ce spectacle me remua, et songeant à toutes mes déconvenues :

— Hélas ! Jean-des-Figues, me disais-je, que de peine tu pris pour être malheureux, quand il était si simple d’attendre que par un soir pareil, sous ce ciel éclatant plus beau que tous les palais, la Richesse, la Poésie, et l’Amour dans la personne de Roset, vinssent te trouver à ton champ de la Cigalière. Mais où l’amour est-il pour moi maintenant ?

À ce moment, tout au bas du champ, derrière la haie sauvage de fenouil, de fusains et de roseaux qui le sépare de la route, un grand tapage me tira de ma rêverie.

— « Arri !… Arri !… Balthazar !… » criait gaiement une voix de femme, et les coups de bâton tombaient dru comme grêle sur le cuir d’un vieil