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la vraie tentation du grand saint antoine.

matin au soir, d’innombrables convois de victuailles : charretées de cerfs et de sangliers morts, homards ficelés, poissons par pleines hottes, huîtres en bourriches, poules et coqs pendus tête en bas, au bât des montures ; moutons gras destinés à l’abattoir ; canards et pintades ; troupeau blanc des oies qui panardent ; troupeau noir des dindes qui secouent leur jabot violet ; sans compter les bonnes femmes de la campagne portant dans des paniers des fruits de verger mûris sur la paille et des raisins conservés frais, des melons blancs d’hiver, des œufs et du lait pour les crèmes, du miel en gâteau et en pot, des fromages et des figues sèches. Et cela sonnait, tintait, trompettait, babillait, gloussait, vacarme affriandant que dominaient toujours, tentation suprême ! les cris désespérés de quelque porc lié par la patte, qui entraîne son conducteur, et qui hurle en tirant sur sa corde.

Enfin la Noël arriva. La messe de minuit dite à l’ermitage et tous les assistants partis, je fermai la chapelle à clef et me barricadai vite dans ma cabane. Il faisait froid, froid comme aujourd’hui ; le vent de bise soufflait et la neige couvrait les champs et les routes. J’entendais au dehors rire et chanter ; c’étaient mes paroissiens qui, bien emmitouflés, s’en allaient réveillonner dans le voisinage. Je regardai par le trou du volet : çà et là, dans la plaine blanche, des feux clairs luisaient aux fenêtres des fermes, et là-bas la ville illuminée renvoyait au