Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/108

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de leurs voyages à Bougie, il avait fait désarmer. Cet incident, qui semblait devoir se renouveler, nous inspira un moment la pensée de rétrograder ; mais les matelots insistèrent, et nous continuâmes notre hasardeuse entreprise.

À mesure que nous avancions, notre troupe s’augmentait d’un certain nombre de Kabyles, qui voulaient se rendre à Alger, pour y travailler en qualité de manœuvres, et qui n’osaient entreprendre seuls ce dangereux voyage.

Le troisième jour, nous campâmes à la belle étoile, à l’entrée d’un fourré. Les Arabes allumèrent un très-grand feu disposé en cercle, et se placèrent au milieu. Vers les onze heures, je fus réveillé par le bruit que faisaient les mules, essayant toutes de rompre leurs liens. Je demandai quelle était la cause de ce désordre. On me répondit qu’un sebâá était venu rôder dans le voisinage. J’ignorais alors qu’un sebâá fût un lion, et je me rendormis. Le lendemain, en traversant le fourré, la disposition de la caravane était changée : on l’avait massée dans le plus petit espace possible ; un Kabyle était en tête, le fusil en joue ; un autre en queue, dans la même posture. Je m’enquis, auprès du propriétaire de ma mule, de la cause de ces précautions inusitées ; il me répondit qu’on craignait l’attaque d’un sebâá, et que, si la chose arrivait, l’un de nous serait emporté avant qu’on eût eu le temps de se mettre en défense. « Je voudrais, lui dis-je, être spectateur, et non acteur, dans la scène que vous m’annoncez ; en conséquence, je vous donnerai deux piastres de plus, si vous maintenez toujours votre mule