Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/134

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« Il vient de mesurer la méridienne d’Espagne. »

L’Empereur, s’imaginant sans doute qu’il avait devant lui un muet ou un imbécile, passa à un autre membre de l’Institut. Celui-ci n’était pas un nouveau venu : c’était un naturaliste connu par de belles et importantes découvertes, c’était M. Lamarck. Le vieillard présente un livre à Napoléon.

« Qu’est-ce que cela ? dit celui-ci. C’est votre absurde Météorologie, c’est cet ouvrage dans lequel vous faites concurrence à Matthieu Lænsberg, cet annuaire qui déshonore vos vieux jours ; faites de l’histoire naturelle, et je recevrai vos productions avec plaisir. Ce volume, je ne le prends que par considération pour vos cheveux blancs. — Tenez ! » Et il passe le livre à un aide de camp.

Le pauvre M. Lamarck, qui, à la fin de chacune des paroles brusques et offensantes de l’Empereur, essayait inutilement de dire : « C’est un ouvrage d’histoire naturelle que je vous présente, » eut la faiblesse de fondre en larmes.

L’Empereur trouva immédiatement après un jouteur plus énergique dans la personne de M. Lanjuinais. Celui-ci s’était avancé un livre à la main ; Napoléon lui dit en ricanant :

« Le Sénat tout entier va donc se fondre à l’Institut ? — Sire, répliqua Lanjuinais, c’est le corps de l’État auquel il reste le plus de temps pour s’occuper de littérature. »

L’Empereur, mécontent de cette réponse, quitta brusquement les uniformes civils et se mêla aux grosses épaulettes qui remplissaient le salon.