Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/404

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pu remarquer combien était insignifiante la tâche que notre spirituel confrère assignait à ceux qui s’entretenaient habituellement avec lui ; maintenant on en comprendra le motif.

Fourier avait conservé dans sa vieillesse la grâce, l’urbanité, les connaissances variées qui, un quart de siècle auparavant, donnèrent tant de charme à ses leçons de l’École polytechnique. On prenait plaisir à lui entendre raconter même l’anecdote qu’on savait par cœur, même les événements auxquels on avait pris une part directe. Le hasard me rendit témoin de l’espèce de fascination qu’il exerçait sur ses auditeurs, dans une circonstance qui mérite, je crois, d’être connue, car elle prouvera que le mot dont je viens de me servir n’a rien de trop fort.

Nous nous trouvions assis à la même table. Le convive dont je le séparais était un ancien officier. Notre confrère l’apprit, et la question : « Avez-vous été en Égypte ? » servit à lier conversation. La réponse fut affirmative. Fourier s’empressa d’ajouter : « Quant à moi, je suis resté dans ce magnifique pays jusqu’à son entière évacuation. Quoique étranger au métier des armes, j’ai fait, au milieu de nos soldats, le coup de feu contre les insurgés du Kaire ; j’ai eu l’honneur d’entendre le canon d’Héliopolis. » De là à raconter la bataille il n’y avait qu’un pas. Ce pas fut bientôt fait, et voilà quatre bataillons carrés se formant dans la plaine de Qoubbèh et manœuvrant aux ordres de l’illustre géomètre avec une admirable précision. Mon voisin, l’oreille au guet, les yeux immobiles, le cou tendu, écoutait ce récit avec le plus vif intérêt. Il n’en perdait pas une syllabe : on eût