Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 1.djvu/530

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dont les générations futures béniront éternellement la mémoire, qu’avait-on fait pour l’honorer de son vivant ?

La pairie est, en Angleterre, la première des dignités, la première des récompenses. Vous devez naturellement supposer que Watt a été nommé pair.

On n’y a pas même pensé !

S’il faut parler net, tant pis pour la pairie que le nom de Watt eût honorée ! Un pareil oubli cependant, chez une nation aussi justement fière de ses grands hommes, avait droit de m’étonner. Quand j’en cherchais la cause, savez-vous ce qu’on me répondait ? « Ces dignités dont vous parlez sont réservées aux officiers de terre et de mer, aux orateurs influents de la chambre des communes, aux membres de la noblesse. Ce n’est pas la mode (je n’invente pas, je cite exactement), ce n’est pas la mode de les accorder à des savants, à des littérateurs, à des artistes, à des ingénieurs ! » Je savais bien que ce n’était pas la mode sous la reine Anne, puisque Newton n’a pas été pair d’Angleterre. Mais, après un siècle et demi de progrès dans les sciences, dans la philosophie ; lorsque chacun de nous, pendant la courte durée de sa vie, a vu tant de rois errants, délaissés, proscrits, remplacés sur leurs trônes par des soldats sans généalogie et fils de leur épée, ne m’était-il pas permis de croire qu’on avait renoncé à parquer les hommes ; qu’on n’oserait plus du moins leur dire en face, comme le code inflexible des Pharaons : Quels que soient vos services, vos vertus, votre savoir, aucun de vous ne franchira les limites de sa caste ; qu’une mode insensée enfin, puisque mode il y a, ne déparerait plus les institutions d’un grand peuple !