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Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/186

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jusqu’à ses dernières limites, « met en fait que si tous les hommes savaient ce qu’ils disent les uns des autres, il n’y aurait pas quatre amis dans le monde, » j’aime à voir le commentateur protester contre cette décision antisociale, et blâmer Pascal de donner une aussi mauvaise idée de ses amis.

Quand l’illustre écrivain recommande « aux sages de parler comme le peuple, en conservant cependant une pensée de derrière, » Condorcet, ce me semble, accomplit un devoir en rangeant la pensée de derrière parmi celles dont les Provinciales avaient fait une éclatante justice.

Lorsque, dans son ardente guerre contre le sentiment que l’homme nourrit de sa grandeur, Pascal insinue que nos actions les plus belles sont toujours obscurcies par des pensées d’amour-propre, par l’espérance de la publicité et des applaudissements qu’elle amène à sa suite, je lis avec délices, dans une note du commentateur, cette anecdote touchante empruntée à nos Annales maritimes, et qui dément la triste réflexion de Pascal :

« Le vaisseau que montait le chevalier de Lordat était prêt à couler à fond à la vue des côtes de France. Le chevalier ne savait pas nager ; un soldat, excellent nageur, lui dit de se jeter avec lui dans la mer, de le tenir par la jambe, et qu’il espère le sauver par ce moyen. Après avoir longtemps nagé, les forces du soldat s’épuisent. M. de Lordat s’en aperçoit, l’encourage ; mais enfin le soldat lui déclare qu’ils vont périr tous deux. « Et si tu « étais seul ? — Peut-être pourrais-je encore me sauver, » Le chevalier de Lordat lui lâche la jambe et tombe au fond de la mer. »