Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/245

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au plaisir de citer cette conclusion si gaie d’un des plaidoyers de notre ancien secrétaire : « Le livre ne fera aucun mal ni à moi ni à d’autres bonnes gens. L’auteur a beau dire, il ne m’empêchera pas d’aimer mes amis ; il ne me condamnera pas à l’ennui mortel depenser sans cesse à mon mérite ou à ma gloire ; il ne me fera pas accroire que, si je résous des problèmes, c’est dans l’espérance que les belles dames me rechercheront, car je n’ai pas vu jusqu’ici qu’elles raffolassent des géomètres. »

La vanité règne en souveraine dans toutes les classes de la société, et particulièrement, dit-on, parmi les gens de lettres. Nous pouvons affirmer, néanmoins, que ce mobile, que ce stimulant si ordinaire, si actif de nos actions, n’effleura jamais la belle âme de notre ancien confrère. Quelques faits ont déjà témoigné de ce phénomène. J’ajouterai ici qu’à la suite d’une vive controverse touchant cette question de morale, mademoiselle de l’Espinasse embrassa le parti de ceux qui soutenaient que la nature, en ce genre, ne fait pas de miracles ; qu’elle promit de se livrer à un examen attentif dans le cercle très étendu de la société, et qu’après une longue épreuve elle s’avoua vaincue. Son esprit fin, pénétrant, n’était parvenu à saisir dans Condorcet ni un trait, ni un mouvement, ni même un symptôme de vanité, quoiqu’elle l’eût vu presque tous les jours pendant plusieurs années, et sans cesse en contact avec des littérateurs, des philosophes ou des mathématiciens.

La jalousie est la juste punition de la vanité ; Condorcet n’éprouva donc jamais cette cruelle infirmité. Lorsque,