Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/31

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Il atteignait déjà sa trentième année, et assistait, en compagnie de plusieurs de ses amis, à un concert où, dans le principe, on exécuta exclusivement des morceaux de la musique profonde, énergique, expressive de Gluck. Le malaise d’Ampère était visible pour tout le monde : il bâillait, se tordait, se levait, marchait, s’arrêtait, marchait encore sans but et sans suite. De temps en temps (chez lui c’était le dernier terme d’une impatience nerveuse), il allait enchâsser sa figure dans l’un des angles du salon, en tournant le dos à la compagnie. Enfin, l’ennui, ce terrible ennemi, que le savant académicien ne sut jamais maîtriser, faute, disait-il, d’avoir été à l’école dans sa jeunesse, sortait à nu par tous ses pores ! Eh bien, à la musique étudiée du célèbre compositeur allemand, succédèrent inopinément des mélodies simples, douces, et notre confrère se trouva transporté dans un nouveau monde ; et son émotion se trahit encore par d’abondantes larmes : la fibre qui unissait l’oreille et le cœur d’Ampère venait d’être découverte et de vibrer pour la première fois.

Les années ne changèrent rien à cette disposition singulière. Toute sa vie, Ampère montra le même goût pour les chants simples, naïfs ; la même antipathie pour la musique savante, bruyante, tourmentée. Serait-il donc vrai que dans l’art admirable des Mozart, des Chérubini, des Berton, des Aubert, des Rossini, des Meyerbeer, on n’eût pas de règles absolues pour distinguer le très-bon du très-mauvais ; le beau du hideux ? En tout cas, que l’exemple du savant académicien nous rende indulgent envers les athlètes de la guerre acharnée des gluckistes et