Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/361

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de ces importants, affamant, ou du moins très-peu s’en fallut, la ville de Paris :

« 21 août. L’approvisionnement, dit Bailly, était si court, que la vie des habitants de la métropole dépendait de l’exactitude, en quelque sorte mathématique, de nos combinaisons. Ayant appris l’arrivée à Poissy d’un bateau de dix-huit cents sacs de farine, je fis partir sur le-champ, de Paris, cent voitures pour les chercher. Et voilà que le soir un officier, sans pouvoir et sans mission, raconta devant moi qu’ayant trouvé des voitures sur la route de Poissy, il les avait fait rétrograder, attendu qu’il ne pensait pas qu’aucun bateau chargé stationnât sur la Seine. Il me serait difficile de rendre le désespoir et la colère où ce récit me jeta. Nous fûmes obligés de mettre des sentinelles à la porte des boulangers ! «

Le désespoir et la colère de Bailly étaient très-naturels. Aujourd’hui même, après plus d’un demi-siècle, on ne songe pas sans frémir à cet individu obscur qui, pour n’avoir pas pensé qu’un bateau chargé pût stationner à Poissy le 21 août 1789, allait plonger la capitale dans de sanglants désordres.

À force de persévérance, de dévouement, de courage, Bailly réussit à vaincre toutes les difficultés que la disette réelle et la disette factice, plus redoutable encore, faisaient journellement surgir. Il vainquit, mais sa santé resta, depuis cette époque, profondément altérée ; mais son âme avait éprouvé plusieurs de ces blessures profondes qui ne se cicatrisent jamais entièrement. Lorsque je passais, a dit notre confrère, devant les boutiques des boulangers dans le temps de disette, et que je voyais la