Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/42

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régulièrement d’accord avec la diminution correspondante des bank-notes dans le portefeuille de l’étranger, que le doute n’était plus permis. Le savant gentleman renonça donc au jeu… pour toujours ? non, Messieurs, pendant une quinzaine. Après ce temps, il déclara que mes calculs l’avaient complétement convaincu ; qu’il ne serait plus le tributaire inintelligent des tripots de Paris ; qu’il continuerait le même genre de vie, mais non avec les folles espérances qui le berçaient jadis. « Je n’ignore plus, ajoutait-il, que je perdrai tous les ans 50,000 francs de ma fortune que je puis consacrer au jeu : j’y suis parfaitement résigné ; ainsi, personne désormais n’aura le droit de me considérer comme la dupe d’une ridicule illusion. Je continuerai à jouer, parce que mes 50,000 francs de superflu, employés de toute autre manière, n’exciteraient pas dans mon corps débile, miné par la douleur, les vives sensations qu’il éprouve en présence des combinaisons variées, tantôt heureuses et tantôt fatales, qui se déroulent tous les soirs sur un tapis vert ! »

En prenant la peine d’y réfléchir, on verra que ces paroles ne sont pas la simple paraphrase du mot si connu d’un homme d’État célèbre : « Après le plaisir de gagner, je n’en connais pas de plus grand que celui de perdre. »

Je ferais tort aux sciences mathématiques, si j’essayais de les justifier de ne pas avoir prévu, dans leurs formules, que l’espèce d’orage intérieur et peignant qui résulte du jeu obtiendrait la préférence sur la satisfaction douce, morale, attendrissante, que les hommes riches peuvent journellement se donner en soulageant de cruelles misères. Les passions, quoique d’institution divine,