Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/54

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

décidé devant plusieurs de ses amis, un d’eux lui raconta, à titre d’objection, l’anecdote suivante :

« Surpris, la nuit, non loin de Montpellier, par un orage violent, je me réfugiai dans l’auberge du premier village qui se trouva sur ma route. La mort d’un maigre poulet fut la conséquence immédiate de cette visite inattendue. La cuisinière mit l’animal décharné à la broche, et, incontinent, chercha à saisir un chien basset, lequel, introduit dans certain tambour de bois d’assez grandes dimensions, situé sous le manteau de la cheminée, devait faire l’office de la combinaison de poids, de ressorts et de roues dentées, qu’on trouve aujourd’hui dans la plus humble cuisine, mais qui alors était, au midi de la France, une véritable rareté. Le basset refusa obstinément le rôle qu’on lui réservait : il ne céda pas plus aux caresses qu’aux menaces et aux coups. Tant de ténacité, de résolution, de courage, attirèrent mon attention, et je demandai si le pauvre chien en était à son début. — Pauvre chien ! me répondit-on avec dépit et brusquerie ; si vous le plaignez, ma foi, il ne le mérite guère, car chaque jour ces scènes se renouvellent. Savez-vous pourquoi ce beau monsieur ne veut pas maintenant tourner la broche ? c’est qu’il a décidé, dans sa tête, que lui et son camarade doivent se partager la besogne du rôtissage par parties précisément égales ; c’est, je me le rappelle, qu’il a effectivement travaillé le dernier ; c’est qu’il trouve, dès lors, que ce n’est pas en ce moment son tour !

« Il y avait pour moi tout un monde dans les mots : ce n’est pas en ce moment son tour ! À ma prière, un valet d’écurie alla dans la rue chercher le second chien. Celui-ci