Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/598

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envieuse et jalouse. L’École polytechnique était licenciée ; le nom illustre de l’auteur de la Géométrie descriptive ne figurait plus parmi ceux des membres de l’Institut. Quelle source d’amères, de poignantes réflexions ! Monge n’y résista pas : à la noble et belle intelligence dont l’Europe tout entière avait admiré l’éclat succédèrent d’épaisses ténèbres.

Monge n’était pas, même dans le cercle restreint des membres de l’Académie des sciences, le premier homme supérieur chez qui la vie matérielle eût continué après la perte totale des facultés intellectuelles. Huygens avait éprouvé ce mystérieux accident pendant son séjour en France ; quelque temps après il se rétablit, et montra de nouveau toute la puissance, toute la fécondité d’un beau génie. Ces souvenirs entretenaient une lueur d’espérance parmi les amis de Monge. Ils se rattachaient avec bonheur à la pensée qu’un intervalle de quelques mois pourrait faire succéder la lumière aux ténèbres ; que dans le monde des idées, comme dans le monde physique, la léthargie n’est pas la mort.

Un des amis de notre confrère rappela qu’en des circonstances semblables on était parvenu à provoquer, chez divers malades, un réveil intellectuel de quelques instants, en faisant seulement retentira leurs oreilles les paroles, les questions qui les avaient le plus occupés, le plus charmés lorsqu’ils jouissaient de la plénitude de leurs facultés. Il raconta, entre autres traits singuliers, celui de l’académicien Lagny. Ce mathématicien était tombé dans un tel état d’insensibilité que, depuis plusieurs jours, on n’avait pas réussi à lui arracher une syl-