Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 2.djvu/87

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n’apercevait pas que, dans les mains de Cuvier, des armes émoussées elles-mêmes feraient de douloureuses blessures. Empressons-nous de le dire, Ampère savait parfaitement combien son adversaire était redoutable ; si malgré cela, il passa outre, ce fut pour remplir ce qui lui paraissait être un devoir de conscience. En juillet 1824, notre confrère fit imprimer, mais sans livrer son nom au public, une théorie de l’organisation des animaux articulés. Dans ce travail, après s’être emparé d’un type unique, il le poursuivait, à travers mille déguisements, dans la multitude d’espèces dont le règne animal se compose. Il cherchait, par exemple, comment on ferait du papillon léger le lourd crapaud, et du crapaud la baleine colossale. Les critiques de Cuvier s’adressaient donc à Ampère tout aussi bien qu’aux philosophes de la nature ou à Geoffroy-Saint-Hilaire, et notre ami, sous peine de mettre sa tranquillité personnelle au-dessus des intérêts de la science, devait renoncer aux privilèges de l’anonyme. Il accomplit cette obligation, sans aigreur, mais avec fermeté ; il ne prit aucun souci des nombreux inconvénients attachés à la position que les circonstances venaient de lui faire ; il ne se laissa même pas détourner de son but par ce que les hommes redoutent le plus en France : le ridicule.

Je me rappelle encore le dialogue qui s’établit un jour, en ma présence, entre M. Ampère et un académicien, adversaire décidé de l’unité de composition, et dont les spirituelles saillies étaient fort redoutées de ses connaissances, et même peut-être de ses amis. J’en rapporterai le commencement.