Page:Arago - Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciences, tome 3.djvu/623

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de pourvoir libéralement à leur entretien, de les soustraire aux soins vulgaires que les préoccupations de chef de famille leur inspirent si justement, et qui trop souvent, hélas ! arrêtent le génie dans son essor.

J’entends les objections surgir en foule : le génie ne se mesure pas au mètre ; il sera méconnu ; dans ses luttes contre la médiocrité rampante, on le verra toujours succomber. Quelle règle appliquer aux productions littéraires ? N’a-t-on pas vu un moment les ouvrages des plus grands écrivains du siècle de Louis XIV honnis et bafoués ? N’a-t-on pas dit des historiens, par exemple, en croyant émettre un adage plein de sens : « Ils doivent être sans passions et sans pensions. » Rétribuer sur les fonds de l’État des hommes qui n’auraient pas des fonctions patentes, obligatoires, de tous les jours, ce serait offrir une prime à la paresse ; ce serait faire revivre l’odieux abus des sinécures, des bénéfices, etc.

Ces difficultés ont quelque chose de réel ; elles ne paraissent pas insurmontables, L’institution que je propose a déjà existé sous Louis XIV, sous la Régence, sous Louis XV, sous le contrôle redoutable d’une presse libre, et cependant les abus ne furent ni aussi grands ni aussi nombreux qu’on aurait pu, qu’on aurait dû le craindre. À peine l’Académie des sciences venait-elle de naître, que Colbert fit un fonds annuel de cent mille livres pour être distribuées aux hommes célèbres de France et de l’étranger. Le tableau des pensionnés n’est assurément pas à l’abri de toute critique. Chapelain, le mieux rétribué de tous, y figure « comme le plus grand poète français qui ait jamais été ; » Leclerc, Boyer, sont qualifiés « d’excel-