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voyage autour du monde.

— Alors vous pas Brésilien ?

— Non.

— Tant mieux.

Nous nous mîmes en route et longeâmes l’aqueduc. Mon noir bondissait plutôt qu’il ne courait : sa poitrine large, haletante, brillait et ruisselait sous les premières atteintes du soleil levant, et ses muscles fortement dessinés accusaient une nature puissante et vigoureuse. À mesure que nous perdions de vue les derniers édifices de la ville, mon noir soufflait plus à l’aise, sa démarche prenait un caractère d’indépendance tout à fait en harmonie avec cette végétation tropicale qui nous protégeait de ses vastes parasols, et l’on eût dit qu’il germait de généreuses pensées de liberté dans l’âme de cet homme abruti sous le fouet.

— Pourquoi ne chantes-tu pas ? lui dis-je.

— Notre maître veut rire.

— Non, chante.

Je chante dans moi, mais pas en dehors, maître nous l’a défendu ; lui vouloir que nous jamais penser au pays.

— Moi, je te le permets. D’où es-tu ?

— D’Angole.

— Y a-t-il longtemps que tu es au Brésil ?

— Longtemps, bien longtemps.