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voyage autour du monde.

Et le cri d’alarme appelle sur le pont l’équipage du brick.

Mais Villegagnon et les siens ont déjà abordé, ils se précipitent en silence par les sabords et les porte-haubans ; les pistolets sont muets ; ils frappent, ils renversent, ils tuent à coups de sabre, à coups de pique, à coups de hache : c’est un massacre plutôt qu’un combat.

— Qu’on ne les achève pas tous ! s’écrie Villegagnon tout couvert de sang ; garrottez ceux qui restent et à terre !

L’ordre est exécuté. Dix matelots brésiliens sont conduits à l’île, ils sont jugés et pendus. Villegagnon fait clouer sur les potences cette courte inscription : Pendus, non comme hérétiques, mais comme assassins.

Cependant il retourne à bord : une brise de terre le favorise ; il coupe le câble, hisse ses voiles et repart. Au goulet, le calme le saisit ; il mouille une seconde ancre, pour ne pas être jeté à la côte. Mais l’alarme est déjà donnée au port et dans la ville. Les potences dressées disent à tous le coup de main de Villegagnon ; la rade est bientôt sillonnée par mille embarcations de guerre, et le brick bayonnais est sommé de se rendre. Villagagnon répond par le fusil et la mitraille ; un horrible combat s’engage, mais le nombre l’emporte sur la bravoure.

Tous les camarades de Villegagnon périrent les armes à la main ; lui seul, qu’on avait ordre de ménager, percé de coups et étendu sur le pont, fut rendu à la vie. On l’enferma dans un cachot fétide creusé pour lui dans l’île des représailles, où il mourut enfin au milieu des tourments les plus horribles.

Le fort Villegagnon a pris son nom du brave gentilhomme bayonnais, que la cour de France ne songea même pas à venger.

L’île des rats et celle des serpents sont dominées également par de fortes batteries qu’il serait difficile de démonter ; et, au fond de la rade, dans l’île du Gouverneur, aussi grande que Sainte-Hélène, d’autres batteries s’élèvent pour défendre les magnifiques plages qui les entourent.

Dugay-Trouin, entrant en ennemi, et toutes voiles déployées, dans la rade de Rio-Janeiro, fit une action d’éclat dont les annales de notre marine gardent précieusement le glorieux souvenir. Le massacre de l’équipage du capitaine Duclair fut vengé, et le grand amiral rapporta en France vingt-sept millions qu’il avait imposés à la ville. De l’or contre du sang, ainsi se font souvent les marchés de souverain à souverain.

L’histoire du Brésil depuis sa découverte peut se résumer en deux époques, celle des premiers établissements par les spéculateurs payant impôt aux portugais, et celle de l’arrivée à Rio de Jean VI fuyant de Lisbonne devant les armées françaises victorieuses. On a bâti sur cette terre féconde quelques villes et villages, on y a élevé une cité royale. La noblesse portugaise y a suivi la famille des Bragance. Dès lors une plus grande activité s’est fait sentir dans la recherche de l’or et des pierres