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XI

ÎLE-DE-FRANCE

Incendie. — Coup de vent. — Détails. — Zambalah. — Cachucha. — Danses. — Fêtes des Noirs. — Table ovale.

On m’a dit bien souvent : Que vous êtes heureux d’avoir fait le tour du monde !

— Eh ! messieurs, soyez heureux, faites-le comme moi.

— Oui, mais il faut se mettre en route.

— C’est bien cela ! vous voudriez être de retour avant de partir. La chose est impossible. Il n’est pas besoin d’un grand courage pour ces courses lointaines. Dès que vous avez posé le pied sur le navire qui fait voile pour l’antipode de Paris, bon gré, mal gré, vous devez le suivre, et ce dont vous avez le plus besoin, selon moi, c’est la patience. L’homme se façonne aisément à tout, aux dangers, aux privations, à la misère. Après dix tempêtes on ne craint pas la onzième, et quand vous avez été mangé une première fois, la dent d’un antropophage ne vous fait plus peur. Et puis, si l’on se donnait la peine de raisonner, on verrait que cet immense voyage, dont on se fait une si effrayante idée, n’est rien moins que périlleux. Quel est le Parisien assez maître de sa fortune et de son temps qui n’a pas été au moins jusqu’au Havre ? Du Havre à Ténériffe il y a deux ou trois fois au plus la longueur d’une ceinture de femme de taille moyenne : cela se franchit sans qu’on y songe. De Ténériffe au Brésil, vous l’avez vu, c’est une promenade comme la grande allée des Champs-Élysées, mais un peu plus large, j’en conviens. Du Brésil au Cap, les vents variables et quelques vents généraux vous poussent comme un puissant remorqueur. L’Île-de-France est à deux pas du Cap ; puis vous avez Bourbon, qui lui donne la main en bonne voisine ; puis, pour une