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XII

ÎLE-DE-FRANCE

Combat du Grand-Port.

Mes vêtements sont imprégnés aujourd’hui d’une odeur de poudre que j’aime à respirer ; il me semble que la ville, le port, la montagne du Pouce, les Trois-Mamelles, le Pitterboth, séparent d’une auréole de gloire ; je crois voir les cocotiers élancés agiter avec bonheur leurs couronnes mobiles, et l’on dirait que l’ombre du bananier est plus douce et plus rafraîchissante.

Voyez, voyez comme les citoyens s’agitent ! voyez comme les plateaux qui dominent la capitale sont couronnés de population impatiente ! Qu’est-il donc arrivé ? Est-ce un grand jour de fête pour la colonie ?… Oui, c’est tout cela, car c’est un jour de bataille, et par conséquent un jour de triomphe.

À l’horizon et cinglant à toutes voiles vers l’île, pointent les vaisseaux de la Grande-Bretagne avec leur léopard dominateur ; et là-bas, dans le Grand-Port, nos vaisseaux attendent comme une bienvenue la visite que l’intelligent sémaphore leur annonce.

Duperré se prépare à la lutte avec ce calme, ce sang-froid qui pèse toutes les chances de la mêlée ; son regard d’aigle interroge les positions, et l’on devine que si l’attaque est chaude, la défense sera vigoureuse.

Nous avons à raconter. Plus nous serons simple, plus nous serons vrai, plus nous dirons ce qui revient de gloire aux intrépides capitaines avec lesquels on vient se mesurer.

Il nous fallait quelque compensation aux glorieuses pertes que nous avions éprouvées dans la Méditerranée ; l’Inde devait nous les fournir, et Duperré était le gage assuré de cette éclatante revanche. Vous allez voir s’il a tenu la parole que nous avions donnée pour lui.

Nous étions au mois de mars de l’année 1810. Le capitaine de vaisseau