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souvenirs d’un aveugle.

dée résonnant sans écho, nous gardons le silence encore une fois. À demain donc !

À deux heures, un aide-de-camp du gouverneur vient donner avis au commandant de la Bellone qu’un prisonnier, échappé de la frégate la Neréide, a gagné le rivage à la nage, et a rapporté que cette frégate, réduite à l’état le plus affreux, était amenée depuis le soir. Bouvet répond au général : « Une ancre de mille et un grelin pour renflouer la Minerve, et les autres frégates sont à vous : Vive l’Empereur ! » La nouvelle active le courage de nos marins, qui hâtent de tous leurs vœux le lever du jour pour recommencer le combat.

Le jour se lève ; la division française est dans la même position ; mais les Anglais sont rudement maltraités ; la Néréide voit flotter autour d’elle ses mâts, ses bordages et son pavillon ; le Syrius était toujours échoué ; l’Iphigénie se trouvait masquée par la Néréide, et la Magicienne aux abois présentait seule le travers à la Bellone.

Le feu recommença plus vigoureux que jamais à bord de celle-ci ; le pavillon de la Néréide est amené ; mais les feux croisés des autres navires empêchent d’aller l’amariner. Il fallait mitrailler la Magicienne, et l’habile Bouvet commanda le feu.

À deux heures, le capitaine de vaisseau Roussin, aujourd’hui vice-amiral, se rendit à bord de la Néréide qu’il trouva ouverte de tous côtés, et dont l’équipage s’était sauvé avant le jour. Plus de cent cadavres mutilés gisaient pêle-mêle dans les batteries, et sur le pont. Le Syrius travaillait inutilement à se renflouer ; l’Iphigénie ne songeait plus à combattre. Sur le soir, des tourbillons de fumée s’élèvent de la Magicienne, des flammes épaisses s’échappent des sabords de sa batterie, vers onze heures une gerbe de feu s’élève dans l’air avec un bruit horrible, et annonce que la Magicienne saute.

Le 25 au matin, le feu recommença à bord de la Bellone et de la Victoire, et leurs coups, dirigés sur le Syrius, portent la mort et le ravage sur cette frégate qui, échouée, ne peut répondre à cette vigoureuse attaque que par les caronades de l’avant.

De ces quatre frégates si belles, si audacieuses, l’Iphigénie seule restait ; elle pouvait combattre encore et prétendre à une fin glorieuse ; mais elle se hâta d’abandonner un champ de bataille si funeste au pavillon anglais, et de se réfugier vers l’île de la Passe.

Le 26, le triomphe de la division française était assuré ; on alla amariner l’Iphigénie. Le 27, la division du commandant Hamelin, sortie du Port-Napoléon, parut au large et se dirigea pour approcher les passes sans y entrer ; et le 28, à la pointe du jour, un officier, porteur d’une sommation de son excellence le gouverneur-général, se rendit à bord de l’Iphigénie pour conclure de la reddition de cette frégate et de l’île de la Passe, à des conditions avantageuses pour les vainqueurs, généreuses cependant