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voyage autour du monde.

Duperré, avant sa première bordée, s’adresse à ses matelots, et son allocution brève, pleine d’énergie, est à l’instant même suivie du cri de Vive l’Empereur ! répété par toutes ces poitrines haletantes que le bronze menaçait de toutes parts.

Il est cinq heures et demie ; le feu s’ouvre sur toute la ligne, et bientôt Le roulement des volées annonce à l’île attentive que le sort de la colonie dépend de l’instant qui va suivre. Mais une dernière épreuve était réservée à nos matelots, dont la fortune semblait depuis quelques jours tromper les espérances : les embossures de la Minerve et du Ceylan sont coupées, et ces deux navires, drossés par le courant et la brise, s’échouent sous le travers et bord à bord de la Bellone, qui masque leurs batteries ; ils sont ainsi condamnés à rester muets témoins du combat que la Bellone et la Victoire continuent à soutenir vaillamment. L’ennemi, profitant d’un événement si malheureux et si imprévu, s’acharne sur la Bellone ; une de ses frégates est échouée et ne peut faire jouer les pièces de l’avant ; mais les trois autres présentent le côté à notre seule frégate, et croisent sur elle leurs écrasantes bordées.

Seule contre toutes, sous le tourbillon de fer et de feu qui l’accable, l’héroïque Bellone déploie une énergie excitée encore par la haine que réveille dans l’âme de nos matelots l’acharnement d’un adversaire qui vient en aide au flot dévorateur. Les flancs de la Bellone sont ouverts, ses pièces etses manœuvres volent en éclats. Vive l’Empereur ! s’écrie l’équipage luttant seul contre tant d’adversaires, Vive l’Empereur ! et que la mer seule étouffe notre voix ! L’équipage de la Minerve vient remplacer l’équipage éteint sous la mitraille, et chaque marin est un héros. Cependant notre feu domine celui des Anglais ; c’est un coup de tonnerre sans relâche, c’est la mort qui voyage sur les ailes du feu ; les matelots s’en aperçoivent ; ils comptent, pour ainsi dire, les coups de bordées, et à ce nouvel avantage ils s’écrient de nouveau : Vive l’Empereur !

Duperré est partout, car partout il y a du plomb et du fer ; et tandis qu’il donne l’exemple à son équipage, il instruit par ses signaux le gouverneur de la colonie des vicissitudes de la bataille. À dix heures, et les moments sont toujours marqués par la gloire, à dix heures il est frappé à la tête par une mitraille, qui le renverse dans la batterie. Ses matelots l’entourent d’abord avec des larmes ; puis, la rage au cœur, ils fui serrent affectueusement la main, et jurent de le venger.

Bouvet apprend le malheur que nous avons à déplorer. Intrépide comme le dévouement, il s’élance sur la Bellone, se place fièrement sur le banc de quart, et l’équipage ne croit pas avoir perdu son capitaine ; l’honneur succédait à l’honneur.

À onze heures, l’ennemi éteint son feu ; la Bellone le fait aussi, non par courtoisie, mais parce qu’il faut quelque repos aux matelots écrasés. Une demi-heure après, nous essayons si on nous répondra, et notre bor-