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souvenirs d’un aveugle.

un champ de tabac, tantôt sur le haut de quelque monticule, et le plus souvent sur le bord d’un chemin. La place est marquée par un tas de petits cailloux que les pieds des passants ont bientôt dispersés.

Ils en usent envers les morts avec cet amour et cette tendresse qu’ils accordent aux vivants, et je ne crois pas qu’un seul de ces hommes qui m’entourent chaque jour, et passent et repassent à mes côtés, ait jamais senti son cœur bondir d’amitié ou de reconnaissance.

Les Hollandais ont fait des lois à Koupang, mais les Malais se sentent assez puissants pour les fouler aux pieds.

Le viol envers une Hollandaise est puni de mort, et dès lors le coupable est envoyé à Java, où justice est promptement faite. Le viol envers une esclave est puni du fouet ; cinquante coups suffisent pour l’ordinaire à la vengeance des personnes intéressées au châtiment ; mais si le coupable est riche, il est rare qu’il n’échappe pas à la correction à l’aide de quelques douzaines de piastres ou de plusieurs brasses d’étoffe, et l’on a remarqué ici que presque toujours la victime intercédait en sa faveur. Dans ce cas il est absous de droit, et fort souvent une femme est ajoutée au harem du ravisseur.

Lorsqu’un maître fait injustement punir un esclave, si celui-ci se plaint et prouve à ses juges l’iniquité de la correction, à l’instant il est confisqué au profit du gouvernement. Vous comprenez dès lors si les Hollandais manquent de serviteurs.

Un Malais libre dont la coupable conduite est signalée à son rajah est vendu au profit du souverain ; et comme les rajahs sont tributaires du résident ou gouverneur, ils sont tenus de rembourser à celui-ci un quart ou un cinquième du prix de la vente.

L’idolâtrie est une religion des Malais ; mais ils ont pour leurs rajahs un respect qui va jusqu’à l’adoration, et quelques-uns même les regardent comme les fils des dieux.

La nourriture des Malais consiste en riz, poissons salés, buffles, poules et quelques fruits ; ils n’ont point d’heure fixe pour leurs repas, et les femmes ne mangent jamais avec eux, car elles sont traitées en véritables esclaves.

Le costume de celles-ci est formé de deux belles pièces d’étoffe, l’une appelée cahen-slimont, l’autre cahen-sahori ou cabaya. La première est nouée à la ceinture et descend en plis gracieux jusqu’au genou ; l’autre est jetée avec caprice sur les épaules, mais retenue également par un cordon ou un nœud. Toutefois ce qu’il y a de particulier dans les habitudes d’habillement des Malaises, c’est qu’elles attachent le cabaya, non pas en dessous du sein, non pas au-dessus, mais au milieu, ce qui leur coupe fort disgracieusement la gorge en deux parties. Expliquez ces singuliers caprices de la mode : une torture pour s’enlaidir et se défigurer !

Les femmes malaises sont grandes, admirablement taillées ; leur de-