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XVII

LA MER.

Oh ! vous lirez ces pages aussi ; vous y arrêterez vos regards comme sur un portrait fidèle ; elles sont écrites sous l’inspiration du moment.

La mer !

Je ne veux pas aujourd’hui vous parler de ses colères ; je ne veux pas vous parler de sa torpeur. Les premières ont leur majesté imposante ; l’autre sa triste solennité. Le silence de celle-ci vous endort, vous glace ; la turbulence de celle-là vous jette dans une admiration fiévreuse, qui vous émeut et vous rapetisse ; oublions-les pour quelques instants.

C’est de la mer sans caprices qu’il va être question dans ces lignes rapides ; de cette mer normale que les esprits superficiels s’obstinent à croire si froide, si monotone, qu’on serait tenté, d’après leur couardise, de ne jamais s’abandonner à elle, cette mer, voyez-vous, alors qu’elle mugit sans frénésie, est encore, pour celui qui observe et étudie, une mine inépuisable de nobles jouissances et de belles distractions. Que ses flots moutonnent à la cime, que la lame marche seulement sans écume, qu’elle soit ridée par une légère brise ou heurtée par un souffle carabiné, il y a là, je vous jure, larges tableaux à admirer, riants et curieux détails à décrire ; il y a comédie et drame à la fois, émotions variées pour l’esprit et le cœur ; passé consolant, présent qui sourit, avenir de bonheur et d’ivresse.

Suivez-moi, je vous prie, car je ne vous conduis pas dans un monde creux et fantastique, mais bien dans un monde réel et varié, où le repos est impossible, puisque tout chemine et court avec vous, l’élément qui