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SOUVENIRS D’UN AVEUGLE.

mer il n’y en a point qui n’ait son intérêt particulier, il n’y en a point à dédaigner et qui doive passer inaperçu.

Je ne veux pas vous parler aujourd’hui de ces grains blancs qui tombent sur le navire, rapides comme la foudre, terribles comme elle, partant d’un imperceptible nuage à votre zénith, faisant crier vos mâts, les brisant, et d’autant plus redoutables dans leur fureur que vous n’avez jamais le temps de vous disposer à la défense.

Je ne veux rien vous dire non plus de ces trombes tourbillonnantes, entonnoirs dévorateurs, dont la tête est aux cieux et le pied dans le fond des abîmes, de ces trombes redoutables, meurtrières, engloutissant dans leurs gueules, où ils tournoient sans volonté, les poissons les plus monstrueux ; ces trombes, où la grêle joue parfois un rôle si étrange et où la foudre et les éclairs luttent entre eux d’éclat et de rapidité.

Je ne veux pas vous parler de ces tempêtes horribles, de ces ouragans ténébreux où tout se confond, se heurte, se brise, où la nuit la plus effrayante envahit l’espace, où l’air retentit comme l’Etna déchaîné, où les flots sont aux nues, où les nues pèsent sur les flots, où vous êtes lancé dans un vaste chaos sans issue, où vous attendez, impassible, votre dernière heure, et où pourtant la corvette, tantôt debout, tantôt couchée sur le flanc, ouverte de toutes parts, courant bien plus sous l’eau que sur la lame, résiste, à l’aide de son vigoureux gouvernail.

Non, non, vous vous envelopperiez lâchement dans votre paresse