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souvenirs d’un aveugle.

nées à recevoir le pavillon ; les bancs sur lesquels s’assied l’équipage sont protégés contre le soleil par une toiture charpentée, recouverte de feuilles de vacoi, de cocotier et de bananier. Je doute fort que les Guébéens emploient la voile dans leurs navigations ; mais à bâbord et à tribord de chacune d’elles, les courbes légères, solidement amarrées et échelonnées sur les flots, portent des pagayeurs en grand nombre qui font ainsi contre-poids et maintiennent l’embarcation dans un équilibre parfait. Des magasins ou armoires fermées contiennent les armes et les provisions de l’équipage, et je ne saurais dire le nombre immense de flèches qui nous furent offertes lors de notre première entrevue près de Pissang. Au surplus, toute description écrite de ces belles carracores n’en donnerait qu’une imparfaite idée, et je me hâte d’ajouter que, seulement après les avoir vues, j’ai pu me représenter les galères à double et à triple rang de rames dont parlent les anciens.

Rawack venait d’étaler devant nous ses richesses tropicales ; chacun de nous, sur le pont, dévorait de l’œil le fond d’une rade où nous allions bientôt nous délasser de tant de fatigues. Les malades dans leurs hamacs savouraient doucement un air terrestre après lequel ils avaient tant soupiré ; mais la nuit nous surprit au milieu de notre allégresse, et nous louvoyâmes devant l’île jusqu’au lendemain matin. L’élève Guérin fut chargé d’aller sonder la rade, et la mission fut remplie avec cette haute intelligence qui distinguait le jeune officier dont le courage, depuis cette époque, est sorti vainqueur d’un grand nombre de rudes épreuves.