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voyage autour du monde.

lignes ; de ce trou part une rigole de trois ou quatre lignes de profondeur allant jusqu’au bout de la pièce de bois. Celle-ci est verte, la baguette est sèche. L’homme accroupi retient entre la plante de ses deux pieds la pièce, glisse quelques herbes et folioles à demi calcinées dans la rigole, jusqu’au petit trou, y place la baguette qu’il tient entre ses deux mains ouvertes, et la tourne et retourne ainsi qu’on prépare chez nous le chocolat. C’est par ce frottement rapide, qui dure toujours une demi-minute au moins, que la chaleur se développe et met le feu aux herbes sèches, que l’on attise ensuite avec le souffle. Cela est simple, j’en conviens, mais cela devait être dit. Et maintenant, dans la crainte de l’oublier plus tard, je me hâte de constater ici trois observations bien frivoles, sans doute, mais qui m’ont paru assez singulières. La science les expliquerait peut-être par des études physiologiques ou psychologiques ; moi, je ne me jette pas dans les profondeurs et je n’interroge que les surfaces.

J’ai donc remarqué que, depuis le cap de Bonne-Espérance jusqu’au cap Horn, c’est-à-dire dans un espace à peu près égal aux cinq sixièmes de la circonférence de la terre, pas un peuple sauvage ne mange un mets quelconque assaisonné. Point de sauces, point de fournitures ; tout se cuit sur la braise à une fumée ardente, ou dans des fours qu’on étouffe quand la victime y est jetée quelquefois en vie. L’art culinaire n’est guère investigateur.

Pour dire non, tous les peuples de la terre font avec la tête le signe en usage chez nous, quelques-uns ajoutent à ce signe une parole, d’autres un mouvement de la main, mais toujours le signe de tête existe. Eh bien ! pour dire oui, tous les peuples de la terre, dans le vaste espace dont je viens de vous parler, lèvent la tête en reniflant au lieu de la baisser comme nous. C’est futile à observer, j’en conviens, mais j’ai fouillé dans tant de petits secrets ! j’ai voulu si bien voir !

La troisième de mes observations est, je crois, plus singulière encore : c’est que, chez tous ces peuples, on dort couché presque continuellement sur le ventre. La médecine nous expliquera cela. Me pardonnera-t-on d’indiquer ces légères différences, ces usages généraux ? C’est par un faisceau de minutieux détails qu’on arrive à des conséquences générales.

Un grain violent nous força, Petit et moi, à la retraite ; nous quittâmes les sauvages, qui s’abritèrent sous leurs pros renversés, et nous, plus instruits que la veille, nous reprîmes la route du camp, contraints de courber le dos sous les rapides ondées d’une averse tropicale.

— Cela est bien bête ! grommelait Petit entre ses dents.

— Qu’est-ce qui est bête ?

— Vous et la chose. Vous, de venir par ce temps de chien vous frotter à de pareils animaux ; la chose, de voir des hommes si sales que vous vous plaisez encore à dessiner sur vos livres.

— C’est pour mon instruction.