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XXIII

RAWACK

Pêche. — Le roi de Guébé et Petit. — Une jeune fille. — Départ. —
Mort de Labiche. — Divers archipels. — Les Carolines.

Si les lourds et trapus indigènes de ces contrées ont souvent l’intelligence trop épaisse pour qu’ils puissent surmonter certaines difficultés, il faut convenir aussi que le ciel les a doués d’une sorte d’instinct vraiment merveilleux, à l’aide duquel ils parviennent à maîtriser le caprice des éléments et la volonté hostile et opiniâtre du sol où le destin les a jetés. Le besoin, ce premier et redoutable ennemi des hommes, leur a dit comment il fallait que leurs demeures fussent construites pour échapper au courroux des flots ou aux rafales des ouragans ; il leur a appris à grimper comme des chats sauvages sur les arbres les plus élevés, au sommet des tiges les plus lisses ; sans doute aussi il leur a indiqué de puissants remèdes contre la piqûre incessante et douloureuse des insectes qui assombrissent l’atmosphère, et contre la dangereuse morsure des serpents qui rampent autour d’eux et partagent parfois la même couche.

Il nous arrivait souvent, à nous gens si fiers de notre supériorité sur les sauvages, de pénétrer dans un bois et de chercher inutilement pendant des heures entières, sur les plus hautes branches, un fruit rafraîchissant. Eh bien ! dès que nous faisions entendre à un indigène que nous lui donnerions quelque bagatelle en échange d’une jam-rosa aigrelette, d’une banane ou d’une pastèque, nous étions sûrs de le voir revenir peu d’instants après, apportant dans ses mains ou sur sa tête les objets que nous avions désirés. Pas un de nos pilotes garde-côtes, habitués aux signes atmosphériques indiquant d’une manière assez précise les variations d’une température ou les approches d’un coup de vent, ne pourrait