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XXV

EN MER

Pêche de la baleine.

Pour la cinquième ou sixième fois depuis notre départ, nous voyons glisser près de nous, infatigables et ardents, patients ou robustes, des pêcheurs de baleines.

Voici la vie la plus active de l’homme, voici sa vie la plus périlleuse.

Ici tout est fatigue et travail ; ici chaque heure de la journée peut être le dénouement d’un drame terrible, car le navire a pour escorte permanente les colères du ciel et celles des flots ; car son existence, à lui, il la passe dans les mers les plus orageuses du globe ; car les ennemis qu’il cherche, qu’il combat, qu’il dompte, sont les plus forts, les plus puissants, les plus redoutables des êtres vivants, alors qu’on les traque dans leur immense empire. Pour de semblables jeux il faut des poitrines et des bras de fer, il faut des hommes d’élite regardant la mort d’un œil serein, et prêts à tout oser pour le prompt succès de leur course, à laquelle ils attachent plus de prix qu’on n’en mettrait à la conquête d’une ville ou d’une province.

Voyez-les aujourd’hui, tristes, découragés, sans énergie, assoupis sur leur pont muet… ; c’est que l’ennemi est loin et se cache, c’est que leur journée sera sans combat et les nuages sans violence.

Le voici maintenant, cet ennemi redoutable ! ils se redressent au signal de l’homme hissé au haut du grand mât, lestes, impétueux, lançant à l’air leurs plus énergiques jurons, et se précipitant comme des loups affamés, ou plutôt comme des soldats aguerris, dans une frêle embarcation qu’un seul mouvement de leur ennemi peut briser en mille éclats. Je vous le dis, parce que cela est : parfois on trouve de par le monde des existences tellement tourmentées, si violemment et si fréquemment ti-