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voyage autour du monde.

ble d’îles indépendantes par le fait, quoique payant tribut à la Hollande et au Portugal, satisfaits aujourd’hui de la part de richesses que ces deux royaumes ont su trouver dans les forêts immenses qui pèsent sur un sol toujours jeune et fort ?

Amboine ne sera pas toujours debout, et vous glissez devant son pavillon dominateur de la plage, ainsi qu’on le fait en quittant le lit d’un malade épuisé par la souffrance.

Quant à Rawack, Waigiou, Boni et la terre des Papous, l’Europe ne s’y montre qu’en passant ; et elle a grand tort, je vous l’atteste, de regarder en pitié tant de fertiles coteaux, tant de superbes montagnes c’est toujours l’homme primitif, c’est le nègre dans sa hutte enfumée, la brute dans sa tanière ; et si quelque lumière brille parfois au sein de ces peuplades, c’est l’instinct qui l’a fait éclater, car l’amour seul de la conservation opère des miracles.

Je ne pousse pas plus loin maintenant ces réflexions arrachées à ma conscience par la rapidité même des courses effectuées. Cela a passé si vite, si brusquement, qu’on est plus tard disposé à croire que des années entières vous en séparent.

Les jours sont lents à qui ne change pas de place, à qui s’assoupit dans sa nonchalance et son dégoût ; les mois passent vite à qui les remplit avec avidité, à qui marche avec le temps, de peur qu’il ne lui échappe.

Il me semble que ce n’est que d’hier que j’ai quitté la France ; mais, par une triste compensation, je crois sentir qu’il y a bien des années que je n’ai serré la main de mes amis de là-bas. Ah ! c’est que le cœur ne se fait pas aux illusions ; c’est que la tendresse, en sens inverse de l’optique, grandit dans l’éloignement.

Suis-je pardonné de cette brève revue rétrospective à laquelle une navigation monotone vient de me convier ? Ai-je besoin de demander grâce pour ces quelques pages qui m’ont reposé de mes fatigues et fait patiemment attendre la brise plus fraîche que j’entends déjà siffler dans les voiles et les cordages ?