Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/413

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XXVIII

ÎLES MARIANNES

Guham. — Humata. — La Lèpre.

Il y a pour le moraliste des études à faire plus curieuses encore que celle des peuples primitifs, et nous voici dans un de ces pays exceptionnels où le doute et l’incertitude se trouvent à chaque pas, alors même que les faits paraissent plus saillants et plus tranchés.

Les îles Mariannes ne sont ni sauvages ni civilisées ; on voit là, pour ainsi dire, côte à côte, mœurs antiques et usages modernes, superstition et idolâtrie des premiers âges à demi étouffées sous le fanatisme des conquérants espagnols qui ont légué l’archipel entier à leurs successeurs. Les vices européens luttent sans cesse, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, contre cette liberté de conduite des indigènes du lieu qu’on appela Larrons à si bon droit, qu’ils tiennent à honneur de l’être, et qu’on aurait pu également nommer libertins, s’ils avaient compris toute la portée des mots vertu et corruption comme les explique notre morale. C’est, je vous jure, un spectacle bien bizarre et bien instructif à la fois. Les contrastes sont si rapprochés que l’historien semble en contradiction avec lui-même alors qu’il est fidèle jusqu’à la naïveté. Le peuple du matin ne ressemble pas à celui de la soirée ; il est catholique romain de telle heure à telle heure ; il est tchamorre et idolâtre de telle autre à telle autre ; le voici dévôt, le voilà indépendant de tout culte. L’homme vole et va gaiement chez un prêtre se confesser d’avoir volé ; il fera saintement la pénitence imposée, et il méditera un nouveau larcin sans que sa conscience s’en