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XXXI

ÎLES MARIANNES

Guham. — Mœurs. — Détails. — Mariquitta et moi.

Un de ces hommes réguliers et positifs qu’on a parfois le malheur de rencontrer sous ses pas en ce monde de contrariété, me demandait l’autre jour combien il y avait de Paris aux Mariannes.

— Dix mille lieues, lui répondis-je.

— Y compris d’ici au Havre ?

— Oui, monsieur, répliquai-je en colère ; mais à partir de la cathédrale…

Cet homme évidemment se chausse avec des pantoufles de lisière et se coiffe d’un bonnet de coton à ruban jaune, et c’est sans contredit de lui que me vint, il y a quelques jours, une lettre anonyme timbrée de Paris, jetée au grand bureau de la poste, rue Jean-Jacques-Rousseau, et portant pour suscription : « À monsieur, monsieur Jacques Arago, homme de lettres, voyageur, demeurant rue de Rivoli, 10 bis, à Paris, département de la Seine. — France. »

J’aime mieux le tic tac perpétuel d’une grosse horloge que deux heures de conversation de ces organisations étranges qui ne reconnaissent vrai et exact que ce qui est mesuré au compas, tracé à la règle, et qui, parce qu’ils ne l’ont pas connu, doutent encore que M. de La Palisse soit mort. La parfaite exactitude n’existe que dans les chiffres ; tous les yeux ne voient pas de même, et ce que mon voisin trouve beau et grand me paraît à moi laid et mesquin. Nul de nous ne ment, nul de nous ne se trompe ; nous sentons tous deux d’une façon différente, voilà tout. Plusieurs de mes compagnons de voyage ont trouvé que les Mariannes étaient un pays