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souvenirs d’un aveugle.

tout à fait empreinte d’amertume, me demanda si je lui offrais ces richesses en échange du service qu’il venait de me rendre. Je lui dis que oui ; il saisit mes cadeaux, les jeta dédaigneusement à mes pieds et me tourna les talons. Je le retins avec empressement, je passai mes mains sur ses épaules, je frottai mon nez contre le sien, je lui fis entendre que c’était par amitié, plutôt que par reconnaissance, que je lui offrais tant de choses utiles, et mon brave pilote me rendit alors mes caresses avec une joie d’enfant, accepta mes présents, les attacha précieusement au dôme d’osier qui voûtait la cage, me jeta un dernier regard d’ami et s’endormit accroupi sur un des bancs de son embarcation.

Oh ! dites-moi maintenant si nous avons raison, en Europe, d’appeler sauvages les bons naturels des Carolines, et si nous trouverions fréquemment, chez nous, une délicatesse si noble, un dévouement si désintéressé !

Mais, patience, je ne quitterai pas mes bons Carolins sans vous les avoir montrés dans toute leur simplicité native, sans vous avoir appris à les aimer. Le souvenir de ces braves gens est, sans contredit, celui que je caresse avec le plus d’amour.