Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.1.djvu/521

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
449
voyage autour du monde.

blements de terre, et la cause n’en demeura pas inconnue. Le crime de Matapang devait être expié. »

Et de deux.

« Dans une de ses courses à Tinian, le père San-Victorès venait enfin de ranger sous l’étendard de la foi le plus opiniâtre incrédule des naturels, qu’il avait attaqué vainement à différentes reprises, lorsque celui-ci, réfléchissant, en se dirigeant vers sa maison de campagne, sur l’action qu’il venait de commettre, vit venir à lui six femmes très-bien mises qui mangeaient du feu ; une seule était habillée en noir ; les autres étaient bariolées de mille couleurs. Il les salua en espagnol ; mais ces femmes aériennes lui répondirent en indien, et le menacèrent de grands malheurs, s’il refusait de se soumettre aux nouvelles lois qu’on venait lui imposer. L’incrédule converti promit d’obéir, et, en publiant la vision qu’il avait eue, il seconda infiniment le zèle de San-Victorès. »

Et de trois.

Je ne finirais pas de longtemps si je devais rapporter ici seulement la dixième partie des contes ridicules dont cette prétendue histoire est composée ; mais une chose qui m’a beaucoup surpris, c’est qu’au milieu du fatras des quatorze volumes qui la contiennent, il y a plusieurs pages consacrées aux Carolines : elles sont très-curieuses, plus correctement écrites que les autres et surtout mieux raisonnées ; on ne dirait pas que la même main a tenu la même plume, ni que le même esprit les a dictées. Pas un seul récit de miracles : tout y est simple, dans l’ordre ; et, pour faire marcher son livre, l’auteur n’a pas eu besoin de recourir aux prodiges.

J’ai étudié les Mariannes dans leurs plus petits détails ; j’ai vu la civilisation bâtarde en lutte permanente avec les mœurs primitives de cet archipel. Quel sera le vainqueur ? Dieu le sait et non les hommes ; car ils ne veulent pas voir dans l’avenir, qui peut parfois se traduire par le présent. Ici le présent est sans espérance, et il ne serait point téméraire d’avancer que ce groupe d’îles si riantes, si régulièrement échelonnées du nord au sud, redeviendra ce qu’il était avant la conquête.

Plus de trois siècles ont pourtant passé sur cet archipel depuis que l’Espagne y a planté son pavillon.

Il y a des fruits qui tombent et meurent avant d’avoir atteint leur maturité.


FIN DU TOME PREMIER.