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V

DE L’ÉQUATEUR AU BRESIL.

Couchers du soleil. — Rio-Janeiro.

Nous venons de sillonner l’Atlantique de l’est à l’ouest, et la monotonie de notre navigation ne s’est trouvée interrompue que par quelques-uns de ces incidents auxquels les navires ne peuvent échapper dans une route longue et tracée. Des grains, des trombes, des rafales des calmes, et puis le rapide passage des baleines voyageuses qui se promènent dans leur vaste empire ; l’élégant damier voltigeant sans cesse sur la tête de l’équipage attentif et le stupide fou, qui venait se poser sur une vergue et se laissait bêtement abattre, comme si la vie lui était à charge ; et puis encore l’albatros, nommé poétiquement l’oiseau des tempêtes et mouton du Cap ; maintenant, à votre zénith, et plus rapide que la flèche, se perdant bientôt après à l’horizon, et se jouant avec la vague écumeuse, la frappant de son aile robuste, comme pour insulter à son impuissante rage, et s’élevant d’un seul bond jusqu’aux régions de la foudre, dont il se plaît à entendre le terrible roulement, le goëland, adroit pêcheur, planant immobile au plus haut des airs et tombant comme un plomb pour saisir sa nourriture, nageant entre deux eaux ; et puis encore les myriades de marsouins chassant devant eux les innombrables légions de poissons volants, qui viennent s’abattre sur les porte-haubans du navire ; et les élégantes frégates, orientées toujours selon le vent ; et les méduses phosphorescentes qui éclairent l’espace, et les mollusques si variés, si curieux, qu’on prendrait tantôt pour des insectes ailés, et tantôt pour des grappes de raisin, où des bouquets de fleurs. Rien n’est perdu pour