l’observateur dans cette traversée heureuse, où les études sont sans périls et sans fatigues : pas une heure n’est lente pour qui veut voir et pour qui sait tenir un pinceau ou une plume. Mais, ce qui fait fortement battre le cœur dans la poitrine, ce qui surtout fait vibrer l’âme, et qui révèle la présence du Dieu de l’univers, ce sont ces admirables couchers de soleil, après une journée ardente.
Là-bas, là-bas, dans un océan de feu, sur un ciel de feu, brillent, d’un jet à blesser la vue, les contours bizarres des nuages, se dessinant sous les formes les plus fantastiques ; ce sont des montagnes avec leurs crêtes arides, leurs volcans ouverts et en activité, sillonnés par des torrents de laves, s’effaçant et renaissant comme un jeu d’optique qu’on admire sans le comprendre ? ce sont des armées ennemies qui se ruent, turbulentes, les unes contre les autres, et font jaillir au loin mille millions d’étincelles dans leur terrible choc ; ce sont des plaines à perte de vue, des champs de blé nourrissant la flamme sans l’assouvir ; ce sont des villes immenses avec leurs dômes, leurs clochers, leurs minarets, leurs tours, leurs citadelles, et tout cela bâti sur le feu, avec du feu ; ce sont des charbons ardents au sommet ; partout le ciel et l’enfer, partout un brasier immense dans lequel le navire va bientôt s’engouffrer.
Oh ! oui, je vous l’atteste, un beau coucher de soleil sur un ciel tropical est le plus imposant, le plus majestueux spectacle dont l’homme puisse jouir. Tempêtes, ouragans, calmes, naufrages, la mémoire peut tout oublier, personne n’oubliera un beau coucher du soleil sous la zone torride ; car, si toutes les tempêtes offrent le même chaos, si tous les calmes ont la même tranquillité, nul coucher du soleil ne ressemble à celui de la veille, nul ne ressemble à celui du lendemain. Dieu est là, grand, incommensurable, éternel.
Cent fois, à coup sûr, les premiers navigateurs qui sont allés à la recherche de ce nouveau monde, si hardiment deviné par Colomb, ont dû se croire arrivés au terme de leurs courses à l’aspect de ces puissants phénomènes devant lesquels l’âme tombe en adoration. Comme eux aussi, nous avons souvent crié terre ! mais une heure après que le soleil s’était plongé dans les flots, l’illusion s’effaçait, l’horizon devenait une réalité, et nous nous retrouvions désenchantés entre le ciel et l’eau, attendant une brise plus vigoureuse qui vint offrir un nouvel aliment à notre curiosité. Cependant si le point est exact, si les courants ne nous ont pas drossés, nous devons, ce matin, voir devant nous la terre découverte par le Portugais Cabral…
La voilà, en effet. Terre ! crie la vigie à cheval sur le beaupré, terre de l’avant ! Chacun est sur le pont, l’œil à sa longue-vue et interrogeant l’horizon ; la corvette fend les flots, et le point signalé s’élargit, montre sa forme tranchée, se dessine bientôt, et les heures de langueur et d’ennuis s’effacent dans ce premier moment de joie et d’ivresse. Le cap Frio