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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/105

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voyage autour du monde.

contre les attaques des hommes. Le premier est une nécessité qu’il doit subir, l’autre une insulte qu’il veut repousser. Dans le premier cas, il y a impuissance à lutter ; dans le second, il y aurait faiblesse, et le Sandwichien est essentiellement brave : il est impossible d’être lâche sur un terrain si tourmenté.

Au surplus, étudiez le terrible Mowna-Kak planant sur l’île pour la dévorer un jour ; voyez ses laves ardentes bouillonnant à la surface et ses feux tourbillonnants offrant à l’œil le singulier et effrayant spectacle des fournaises souterraines. Suivez ces rivières brûlantes qui portent la mort et la destruction dans les vallées ; écoutez ces menaces retentissantes, ces mugissements profonds, ces horribles détonations des batteries du cratère qu’on retrouve partout, et vous comprendrez ce qu’il faut d’énergie et d’audace à l’homme de ces contrées pour consentir à les habiter.

Que si vous trouvez dans ma rapide analyse sur le Sandwichien quelque contraste, quelque antithèse morale, c’est qu’ils existent en effet et que le sol d’Owhyée est aussi partout un mensonge.

En effet, ici une grève de galets, là une grève de sable ; ici des rocs surplombés et déchirés par mille rigoles, là des plateaux unis et lisses comme si le frottement des siècles les avait usés. D’un côté, une végétation vivace ; de l’autre, une nature marâtre qui cherche à l’exiler ; et puis la lave, au travers de laquelle s’échappent des pitons aigus de granit ; une mer furieuse sans qu’on puisse en deviner la cause ; et le matin, une onde transparente et paisible, reflétant un ciel d’azur. Owhyée d’aujourd’hui ne ressemble point à Owhyée de la veille, et il ressemblera moins encore à Owhyée du lendemain.

Je le répète, cette principale île des Sanwich est un mensonge perpétuel.

Ainsi des hommes. Voyez ces larges charpentes si bien faites pour résister aux secousses des éléments ; ces masses fortes et robustes, taillées comme l’Hercule ; eh bien ! tout cela se repose sans fatigue, tout cela s’appesantit sans sommeil. Et puis encore, n’est-ce pas une imitation de la nature imparfaite et bizarre du sol que ces usages si étranges d’une moustache sur une lèvre, tandis que l’autre est épilée ? ces cheveux longs d’un côté, courts et ras de l’autre ? N’est-ce pas une boutade, un caprice de fou que la variété sans harmonie de ces dessins dont tout leur corps est bariolé ? Ici, un nom vénéré, celui de Tamahamah ; à côté du nom, un damier qui ne dit rien du passé, rien du présent et sera muet sur l’avenir ; d’une part, un éventail, de l’autre, des roues, ou des croissants, ou des oiseaux. Voici maintenant des rangées de chèvres, et, par une volonté ridicule du dessinateur, la rangée de chèvres coupée par un cor de chasse inachevé. Toujours des désaccords, des contrastes, et cependant ce n’est pas tout encore.