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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/144

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108 SOUVENIR D’UN AVEUGLE.

cela fait, le dîner se trouva achevé. Avant et après le repas, nous bûmes dans des verres de cristal un vin assez potable à la santé de Tamahamah.

Kraïmoukou nous dit adieu ; il se coucha sur une natte. Sa femme nous accompagna jusqu’au rivage, et je jurai bien à maître Rives de me venger tôt ou tard de sa perlidie.

Il sait si j’ai tenu parole.

— Je ne vous avais pas promis une table magnifique, me dit-il en me donnant la main pour entrer dans le canot du bord, qui venait d’accoster.

— Mais, faquin, on donne au moins à manger aux gens. Il fallait me dire que vous m’invitiez à mourir de faim.

— Comment ! vous n’êtes pas rassasié ?

— Après un pareil dîner un pourceau de votre taille ne me suffirait pas.

— Alors dépeuplez l’île.

Je quittai cependant le Gascon avec plus de gaieté que de mauvaise humeur.

L’horrible aspect du paysage qui du bord se dessine à l’œil me forçait chaque jour de descendre à terre, oû je trouvais, plus près des masses, quelque vérité dans les détails. Et puis notre ami Rives avait toujours une petite anecdote à nous raconter ou quelque nouvelle course à essayer avec nous. C’est un baume si doux à l’ame que l’écho des paroles du sol natal, alors que le diamètre de la terre vous sépare d’une patrie désirée !

— Retournons auprès de M. Young, ce brave vieillard qui se meurt.

Dis-je au bordelelais le lendemain de notre somptueux dîner dans le palais