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Page:Arago - Souvenirs d’un aveugle, nouv. éd.1840, t.2.djvu/328

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souvenirs d’un aveugle.

parées seulement de quelques mètres. Celle qui venait d’arriver avait quelques guerriers de plus, mais ils se retirèrent un instant après une sorte d’inspection, et chacun des sauvages put se choisir un adversaire.

D’abord des gambades, puis des cris farouches, puis des coups frappés sur les armes, ce fut ensuite une mêlée générale.

— C’est comme moi, dit Marchais, quand je crache dans mes mains avant d’aplatir, ça donne de la force et de l’énergie. Bon ! les voilà appareillés… Feu maintenant de tribord et babord ! En avant ! Vive la République !

Le combat avait commencé.

Les sagaies lancées avec vigueur fendaient les airs, et nul combattant ne tombait.

Mais les champions s’approchèrent ; ce fut alors un acharnement, une rage, une frénésie, un délire dignes de l’enfer. Les corps tombaient et se relevaient ressuscités par la vengeance ; le sang ruisselait, les crânes étaient ouverts, les côtes brisées, et les dents même jouaient un rôle de destruction dans cette horrible scène de carnage.

— Savez vous que ce sont de vrais gabiers, de francs lurons ! s’écria Marchais, qui trépignait d’impatience. Ça s’appelle taper dur ; je les estime maintenant. Mais il y a un côté qui est enfoncé, il en reste peu et ils ne bougent pas, ils ne f..... pas le camp ; je les estime plus que les autres. Ma foi, monsieur Arago, vous direz ce que vous voudrez, je vais leur prêter main-forte, ça me fend le cœur.

Marchais s’élança ; Petit le suivit en dégaînant son sabre, et je me disposais à voler sur leurs pas, lorsque, par réflexion, tirant un pistolet de ma ceinture, je le déchargeai en l’air. Au même instant le combat cessa, les guerriers se séparèrent, et à un second coup ils s’enfuirent chacun d’un côté opposé au fond des bois.

— Faisons comme eux, dis-je à Marchais et à Petit, qui s’étaient aussi arrêtés au bruit de la détonation. Allons-nous-en, nous ne serions d’aucun secours aux blessés, et ce champ de bataille ne doit pas être chose curieuse à voir.

— C’en est fait, répliqua Marchais avec indignation, ils sont moins braves que je ne croyais ; ce sont des Hugues, puisqu’un coup de pistolet les fait si vite virer de bord.

— C’est égal, dit Petit, ça n’allait tout de même pas mal, et j’ai eu grand’pitié surtout d’une femme qui s’est relevée deux fois et qui est tombée trois : c’était une lionne…

Notre retour s’effectua sans aucun autre incident, nous ne rencontrâmes sur notre chemin ni sauvage ni serpent, et nous arrivâmes à Sidney avant le coucher du soleil. Sur le port, je trouvai M. Field et sa famille je m’empressai d’aller les rejoindre, et je leur racontai le combat dont je venais d’être témoin.