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voyage autour du monde.

répandaient des larmes. Le cadavre fut deposé dans une pirogue et y resta toute la journée. Un vieillard vint offrir au roi une noix de coco ouverte, et celui-ci, en l’acceptant, se condamna à vivre pour le bonheur de ses sujets. Après le coucher du soleil, la dépouille mortelle fut brûlée, les cendres mises dans le pros et portées sur le toit de la maison du défunt. Le lendemain, le peuple parut ne pas se ressouvenir de la scène de la veille. Expliquez de semblables contrastes !

Après la mort du roi, l’autorité passe toujours dans les mains du fils, si le plus âgé des vieillards, qui ne le quitte presque point, le juge digne de la souveraineté. Jamais la femme ou les sœurs du roi n’en ont hérité.

Toutes les îles Carolines sont basses, sablonneuses, mais très-fertiles. C’est sans doute à quelque superstition que les habitants doivent le malheur de ne vouloir nourrir ni porcs ni volailles. Dans le voyage que j’ai fait avec eux, j’ai remarqué que c’était pourtant sur ces animaux qu’ils tombaient avec le plus de voracité. Le jour n’est peut-être pas éloigné où ils sentiront tous les inconvénients d’un usage que la pauvreté de leur pays aurait dû leur faire mépriser, mais auquel ils tiennent peut-être par la sainteté de quelque promesse solennelle.

L’expérience, qui est pour tous les hommes une seconde nature, leur a appris à se défier des audacieuses entreprises de quelques voisins ennemis du repos des peuples ; mais les seules armes qu’ils leur ont opposées sont les frondes. L’art avec lequel ils les tressent prouve malheureusement qu’ils ont été souvent contraints d’en faire usage ; mais leurs batailles sont presque toujours très-peu meurtrières, et ne coûtent aux vaincus que de légères contusions ou la perte d’une touffe de cheveux.

Patience ! la civilisation marche, les peuples primitifs s’effacent, et le fer et le bronze remplaceront bientôt chez les Carolins le bâton et la fronde : les armes sont un écho fidèle des passions des hommes.

J’ai dit les Mariannes et les Carolines sœurs hospitalières, parentes sous tant de rapports ; viennent maintenant d’autres terres, d’autres archipels, et le courage ne me faillira pas pour de nouvelles études.