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qu’il n’y a point de danger à temporiser ; que peut-être dans le même moment les ordres privilégiés délibèrent sur le même objet ; et qu’enfin on sera bientôt instruit du résultat de leurs délibérations.

L’avis qui l’emporte est, qu’attendu que les pouvoirs ne sont pas vérifiés, les députés ne doivent encore se regarder que comme une agrégation d’individus présentés pour les Etats généraux, individus qui peuvent conférer amicalement, mais qui n’ont encore aucun caractère pour agir. Par respect peur ce principe, l’Assemblée refuse d’ouvrir des lettres adressées au tiers état. Plusieurs membres observent qu’il faut laisser aux ordres privilégiés le temps de réfléchir, soit à l’inconséquence du système de séparation provisoire, soit à l’absurdité qu’il y aurait à confondre leur vérification et leur légitimation, soit enfin aux dangers d’une scission qui pourrait suivre la résistance des privilégiés.

Vers deux heures et demie, un député du Dauphiné annonce qu’il vient d’être instruit que la vérification particulière des pouvoirs a été déterminée dans les deux ordres privilégiés. La séance est levée, et les membres des communes s’ajournent à demain matin neuf heures.




ÉTATS GÉNÉRAUX.

Séance du jeudi 7 mai 1789.


COMMUNES


M. Malouet[1]. Messieurs, on a voulu vous convaincre de la nécessité d’attendre, et de ne procéder à aucune délibération , de ne vous considérer enfin que comme des personnes privées, réunies dans la salle des Etats, jusqu’à ce que l’universalité des membres vînt y prendre place.

J’ai eu l’honneur de vous représenter, Messieurs, que vous aviez déjà assisté comme personnes publiques à l’ouverture solennelle des Etats ; et si l’illégalité possible de vos pouvoirs vous mettait dans l’impuissance d’agir, comme les rêprésentants autorisés de la nation, leur légalité présumée par les titres dont vous êtes porteurs vous constitue en Assemblée provisoirement régulière, aussitôt que vous vous trouvez séants dans la salle des Etats ; et j’ose croire que vous êtes non-seulement autorisés mais obligés de procéder le plus diligemment, et avec le plus d’ordre possible, à tous les actes qui peuvent vous investir de la plénitude de votre caractère.

Je sais aussi, et je l’ai expressément déclaré, que la vérification des pouvoirs est un acte de juridiction souveraine, qui appartient aux États généraux, s’ils veulent s’en saisir ; mais était-ce méconnaître cette vérité que d’en renouveler la déclaration par nos députés aux premiers ordres ? et si Messieurs du clergé et de la noblesse n’en sont pas également convaincus, n’était-ce pas de notre part une démarche de paix, d’union, de déférence, que de la leur rappeler ? En quoi cette démarche compromet-elle vos vœux d’opinion par tète ? Et qu’espérez vous de l'état de stagnation et d’inertie où l’on veut nous réduire ? Si des préjugés, des intérêts mal entendus, des inquiétudes mal fondées, éloignent les deux premiers ordres d’une vérification commune, ne devons-nous pas espérer de faire cesser cet éloignement par des explications amiables ?

On vous a dit : Les représentants des communes se sont rendus dans le lieu indiqué pour les États généraux ; donc ils doivent attendre que tous les membres qui les composent viennent s’y rendre aussi y et ils n’ont rien à faire que d’attendre.

Mais le clergé et la noblesse étaient aussi assemblés. Ils l’étaient dans les lieux indiqués pour leur séance particulière ; c’était donc à l’une des Chambres à inviter les autres à cette réunion ; et pourquoi craindrions-nous de faire une nouvelle démarche ? Les représentants du clergé et de la noblesse ne sont-ils pas les premiers en rang dans l’ordre de nos députations, comme dans la hiérarchie nationale que nous avons tous l’obligation de maintenir ?

Peut-être, Messieurs, que la proposition, sur laquelle j’insistai tant hier, aurait empêché le parti pris par l’ordre de la noblesse de procéder séparément à la vérification de ses pouvoirs, et celui mis en délibération par le clergé d’une vérification définitive dans son ordre ? Quoi qu’il en soit, Messieurs, permettez-moi de vous supplier d’adopter aujourd’hui la députation proposée. Nous ne devons laisser aux ennemis de la paix publique, aux coupables ennemis de la nation, aucun espoir de nous diviser et de nous détourner des saintes fonctions qui nous sont assignées.

Nous parviendrons, j’ose vous en répondre, à une vérification commune des pouvoirs, car elle ne peut se faire que par une commission des États généraux à laquelle la vérification provisoire des commissaires de chaque ordre serait référée.

Mais daignez agréer le plan que j’ai pris la liberté de vous indiquer, et que je vais résumer dans le projet d’arrêté que j’ai l’honneur de soumettre à votre examen. Le voici :

Les représentants des communes s’étant réunis aux jour et heure et dans le lieu indiqué pour la tenue des États généraux, ont attendu jusqu’à deux heures après-midi l’arrivée de Messieurs du clergé et de la noblesse, pour prendre séance en l’Assemblée nationale et procéder à la vérification des pouvoirs respectifs. Deux heures ayant sonné, les représentants des communes se sont ajournés à aujourd’hui, mercredi, neuf heures du matin ; et l’Assemblée s’étant formée sous la présidence du doyen des députés, il a été rendu compte par un de Messieurs : que MM. les représentants du clergé et de la noblesse s’étaient assemblés hier dans leurs Chambres particulières et occupés séparément de la vérification de leurs pouvoirs, sur quoi les représentants des communes ont unanimement arrêté qu’il serait envoyé douze députés à MM. du clergé et de la noblesse, à l’effet de leur témoigner le regret de la Chambr ; de voir différer la première séance active de l’Assemblée nationale et le désir empressé des représentants des communes de se voir réunis à l’universalité des membres qui composent les États généraux. Les députés représenteront particulièrement à MM. du clergé et de la noblesse que le premier acte constitutif de l’Assemblée générale étant la vérification des pouvoirs respectifs, les États généraux doivent être investis de cette juridiction qui leur appartient supérieurement et par préférence à chaque ordre ; que la Chambre des communes ne considère donc que comme un préavis, ce qui pourrait être fait à cet

  1. Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur.